SCENE 42 : « Please, please, please »
SCENE 42 : « Please, please, please »
LE COMTE DE LA BOUCHE-EN-BIAIS, agenouillé, un téléphone portable à la main et dans l’autre sa canne
Chut up ! Foutez-moi la paix ! Je ne veux plus jamais entendre le son de votre voix ! Je vous en supplie, Lady Jane, please, please, please, disparaissez de ma vie à tout jamais… Comment ça, Juliette ? (Il se relève) Je ne vois pas ce que vient faire votre gouvernante dans cette histoire ?... je vous jure que Juliette n’est jamais apparue dans ma vie ce soir-là… je suis au courant qu’elle devait servir le repas de nos fiançailles… mais puisque je vous dit qu’elle ne sait jamais pointée chez moi… (Un temps) Juliette ne fut pas la seule à me poser un lapin… qui d’autre ?... à votre avis ?... quand je pense que j’avais prévu un dîner aux chandelles avec « champinelle » et cotillons… (Il s’agenouille) mais hélas, Madame a préféré s’enfuir avec un inconnu sans demander la permission à son pauvre petit fiancé qui se languissait fiévreusement des heures durant au fond de ses draps roses sans jamais voir pointer le bout de son nez… Oh, Seigneur ! Prends pitié de ma longue misère !... je préfère raccrocher…
L’ampoule du réverbère sous lequel le Comte est placé s’éteint…
VALENTIN, surgit, le plat de caviar à la main, suivi de Monsieur Louis la louche à la main
Je ferai tout mon possible pour que vos invités se sentent comme chez eux, Monsieur… ainsi la « Garden Party » de Monsieur donnera naissance à des rapports conviviaux et chaleureux. Bientôt, Monsieur sera béni par la foule qui se prosternera devant Monsieur pour supplier à Monsieur de leur signer un autographe.
LOUIS DE COURBEVOIS, le frappe avec la louche
Taisez-vous, imbécile, je n’en demande pas autant ! Restons dans la limite du raisonnable, s’il vous plait,… je n’ai nullement l’intention de donner ma chemise à mes invités. Je ne les reçois pas en vacances que je sache, j’organise simplement une petite fête pour marquer le coup pendant quelques heures… l’occasion rêvée pour pendre la crémaillère au vu et au su de tout le monde.
VALENTIN
En principe, la crémaillère se passe à l’intérieur des locaux, Monsieur.
LOUIS DE COURBEVOIS, le frappe avec la louche
Il n’a jamais été question que mes invités foulent le sol de ma nouvelle demeure. Qu’ils se contentent de la pelouse !
VALENTIN
Très bien Monsieur.
LOUIS DE COURBEVOIS, se sert une louche de caviar
Ce château est un cadeau de mariage et j’y tiens comme à la prunelle de mes yeux.
VALENTIN
Est-ce exact que c’est votre grand oncle d’Amérique qui vous l’a offert, Monsieur ?
LOUIS DE COURBEVOIS, se sert une louche de caviar
Je rends grâce à mon grand oncle d’Amérique pour ce merveilleux cadeau qui est tombé à pic dans ma vie,… juste au moment où mes affaires s’écroulaient,… au moment où tous mes amis m’abandonnaient,… au moment où ma septième femme me quittait…
VALENTIN
Parfois, je regrette l’ancienne maison de Monsieur au bord de la rivière avec vue sur la montagne.
LOUIS DE COURBEVOIS
Vous faites allusion à ma vieille cabane au fond du jardin située à "Trous-Les-Oies".
VALENTIN
Je me souviens encore de l’odeur des champs et des herbes sauvages qui enivrait l’atmosphère par un beau soir d’été…
LOUIS DE COURBEVOIS
Je me souviens surtout de l’odeur des excréments de vaches. Quelle horreur !
VALENTIN
Je me souviens aussi de la petite marre aux crapauds qui faisaient des bulles de savon toutes les nuits à coté du poulailler…
LOUIS DE COURBEVOIS
Je me souviens surtout du hurlement des poules et des canards affamés qui m’empêchait de faire la sieste. Vraiment, quelle horreur !
VALENTIN
Dieu que la montagne était belle !
LOUIS DE COURBEVOIS
Mais fort heureusement que « Juliette » était là pour me tenir compagnie dans ce bled perdu.
VALENTIN
Parlons-en de Juliette, celle-ci ne lâchait pas Monsieur d’une semelle.
LOUIS DE COURBEVOIS
Personnellement, j’ai vécu les plus beaux moments de ma vie à ses cotés. Oui, mais voilà, il a fallu que ce crétin d’Apollon l’a dévore.
VALENTIN
Votre chien n’en était pas à sa première tentative. Plusieurs fois je l’ai surpris avec « Juliette » dans sa gueule.
LOUIS DE COURBEVOIS, lui botte les fesses
Taisez-vous ! Vous me filez le bourdon ! Fichez-moi le camp ! (Valentin quitte les lieux) Où allez-vous avec le caviar ? Revenez ici immédiatement ! (Monsieur Louis poursuit Valentin dans les allées)
L’ampoule du réverbère sous lequel le Comte est placé se rallume…
LE COMTE DE LA BOUCHE-EN-BIAIS, son téléphone portable à la main et dans l’autre sa canne
Non, non, non et non !... c’est vous qui m’avez quitté le jour de mes fiançailles… c’est vous qui m’avez retiré tout espoir… oui, j’ai bien dit, « mes » fiançailles… étant donné que votre esprit était occupé ailleurs, j’en ai conclu qu’il ne pouvait s’agir que de « mes » fiançailles et non des « vôtres »… il s’agissait de « mes » premières fiançailles… « mes » toutes, toutes, toutes premières fiançailles ! (Il s’agenouille) « J’avais préparé la table avec soin, j’avais mis le bois dans la cheminée, déposé délicatement les coupes de « Champinelle » en fasse de chaque assiette,…
LE COMTE DE LA BOUCHE-EN-BIAIS, poursuit
j’avais également disposé les bougies autour de la table afin que nos âmes ne fassent plus qu’un… mais que me chantez-vous là, enfin ?... (Il se relève) Je vous jure qu’il ne s’est jamais rien passé entre Juliette et moi… étant donné que Mademoiselle n’est jamais venue… comment cela, Juliette et moi, dans le passé ?... cela ne vous regarde pas, Lady Jane… c’est de l’histoire ancienne… n’insistez pas !... eh bien oui, cela remonte à 20 ans si vous vous voulez tout savoir… (Il s’agenouille) Dieu que Juliette était jolie en ce temps-là !… c’était au temps des jours heureux… on se balançait dans le ciel comme une tranche de vie irréelle…
L’ampoule du réverbère sous lequel le Comte est placé s’éteint…
FIN DE LA SCENE 42